« Changer le collège c’est possible »

C’est le titre d’un excellent livre portant projet d’une vraie réforme pédagogique du collège. Les propositions avancées rompent avec les idées simples. Il ne s’agit pas, par exemple, d’inonder les établissements scolaires d’équipements numériques coûteux en espérant que la motivation des élèves suivra. De même les auteurs ne se limitent pas  à une simple modification structurelle aux implications pédagogiques limitées comme ce que propose le rapport du HCE.

Nous avons déjà parlé ici d’André Giordan, Il a travaillé sur ce livre avec Jérome Saltet, le fondateur de Play Bac. Leur travail reprend ce qui ce fait de plus intéressant et de plus novateur actuellement en matière de pédagogie appliquée. Les auteurs ne font pas l’économie de la complexité. Il en résulte un livre intéressant et stimulant dont on ne peut que conseiller la lecture aux enseignants et, plus encore, à tous ceux qui ont responsabilité de la construction et du fonctionnement de l’éducation nationale.

Cela dit, cherchant autour des auteurs de l’ouvrage, je suis tombé sur une interview qu’ils ont donnée au site “La fringale littéraire.com”. En voici un extrait :

Vous avez travaillé sur une durée de six ans la réalisation de ce livre. Pour quelles raisons ?
Jérôme Saltet : Parce que nous voulions construire un projet sérieux, réaliste et global. Cela prend du temps. Nous avons commencé par travailler ensemble sur la compétence peut-être la plus importante à acquérir à l’école : « Apprendre à apprendre », titre de notre ouvrage paru chez Librio. Puis nous avons bâti notre projet, en menant une veille rigoureuse sur les pratiques pédagogiques pour valider nos idées.
André Giordan : Toujours pour approcher cette complexité. Il nous a fallu repérer, visiter, évaluer un grand nombre d »innovations pédagogiques, en France et à l’étranger. En réalité, 6 ans, c’est seulement le temps de travail en commun des deux auteurs. Ce travail a été commencé par l’un des auteurs il y a 35 ans quand il a mis en place ses premières innovations d’abord dans ses classes, puis en montant des équipes d’enseignants, enfin en coordonnant une recherche sur des établissements expérimentaux français qui s’est déroulée à la fin des années 70. Il s’est poursuivi depuis Genève ensuite, en coachant des équipes d’enseignants de différents pays.

Il ne saurait être question de reprocher aux auteurs d’avoir pris le temps de construire leur livre sur des fondements solides. Cela dit, dans cette même interview André Giordan remarque que l’école est concurrencée par les technologies de l’information et de la communication et par une société consumériste qui encourage le zapping (*). Il y a six ans nous étions en 2004 et Google, vieux de 8 annèes avait déjà pris une place dominante sur le marché des moteurs de recherche. Mais il n’était pas encore question de You Tube (2005) ou Facebook (2004). On ne trouvait sur le marché ni iPhone, iPod Touch ou Netbooks (le premier, celui fabriqué par Assus, est apparu en 2007 peu avant l’iPhone). Nul ne pensait, bien sûr à l’’iPad.
Ces sites et ces outils font partie de l’univers des adolescents. Ils sont apparus pendant  cette période de temps durant laquelle nos auteurs finissaient leur enquête. Il me semble que cela pose deux questions :

  • est-il possible de tenir un discours pédagogique en restant indifférent à l’environnement technologique? Freinet, par exemple, a utilisé une presse pour que les élèves puissent travailler à la production d’écrit sur une plus grande échelle que ce que permet l’écriture manuscrite. Il a encouragé la correspondance entre école pour ouvrir ses classes au monde environnant. On se plaît à imaginer ce qu’il aurait fait avec Power Point, l’email, le SMS,… Je suis bien sûr convaincu qu’il aurait très vite encouragé ses élèves à créer et faire vivre une page Facebook.
    Mais tout se passe comme si les pédagogues les plus prompts à mettre réellement l’élève au centre de leurs préoccupations voulaient tenir celui-ci à l’écart de la technologie. Représenterait-elle une potentielle corruption de l’innocence enfantine ? En tous cas il est certain que quelque chose se joue là qui doit bien expliquer l’assourdissant silence des pédagogies dites alternatives face à l’évolution rapide des technologies de l’information et de la communication.
  • est-il possible de faire mûrir un livre pendant six années? C’est bien sûr possible pour un roman ou quelque somme à dimension historique. Mais dans un domaine qui touche à la vie quotidienne il est évident que le sérieux de l’entreprise est quelque peu entachée par la rapide obsolescence des données.  Ce sujet un peu éloignée de la préoccupation initiale de ce blog mériterait cependant que l’on s’y penche plus longuement. Sera-t-il encore possible de faire des ouvrages synthétisant une longue enquête, la production de livre sera-t-elle soumise à ce nouveau rythme qui touche déjà la science ?

(*) Il faudrait/faudra un jour revenir sur cette notion de concurrence que je trouve personnellement suspecte. L’école, forte de son droit et de sa légitimité, n’a fait aucun effort pour essayer de se rendre aussi attractive que la télévision ou internet. Moyennant quoi les enseignants ont activement participé à poser sur l’école le label “ennuyeux”. Label qui a, par la suite et par contagion, été donné à la plupart des entreprises culturelles par les jeunes.

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