Culture scientifique et succès des sections S

Le Ministre de l’éducation française vient de lancer un plan “sciences et technologies” dont l’objectif est de revitaliser une filière qui semble en perte de vitesse :

À un moment où il est plus que jamais nécessaire d’encourager en Europe et dans notre pays les vocations scientifiques, les enquêtes nationales et internationales font apparaître un déclin des compétences de nos élèves en mathématiques à l’école primaire, une baisse d’intérêt pour les sciences et les technologies au collège et une orientation des lycéens insuffisamment tournée vers les études et les carrières scientifiques et technologiques.

Dossier de presse du Ministère de l’éducation nationale

Pour beaucoup de lycéens et de parents d’élèves cette faiblesse de la filière scientifique a du être une vraie révélation. Comment concilier le prestige et les exigences de la section S avec le sentiment d’une désaffection vis à vis des sciences et des mathématiques? Dans le journal Le Monde du 13 octobre 2009 Eric Charbonnier (économiste et expert des questions d’éducation à l’OCDE) déclarait :

En France, les maths ont pris trop d’importance dans le système d’éducation

et plus loin :

… les mathématiques sont primordiales dans l’orientation en France vers les universités. Aujourd’hui, en France, si on veut faire une université économique, ou de journalisme, il faut souvent avoir suivi une filière du secondaire scientifique et mathématique. C’est bien là le problème. Dans tous les autres pays, les filières scientifiques ont toujours une place importante, mais les autres filières permettent aussi d’intégrer des écoles prestigieuses.

 

Lors des conseils de classe l’opinion du professeur de mathématiques continue d’avoir un poids important dans l’évaluation d’un élève et se révèle déterminante face à l’éventualité du redoublement. Les sections S continuent d’être privilégiées par les élèves de lycée au point que la survie même des L apparaît problématique aux yeux de certains observateurs.

De nombreux proviseurs continuent de confier les élèves “scientifiques” à leurs meilleurs professeurs et ceux-ci  recherchent souvent ces classes  réputées plus travailleuses et attentives que les littéraires. Enfin toutes les tentatives pour redorer le blason des sections littéraires ont lamentablement échouées.

Les mathématiques représenteraient -elles un savoir indispensable? Beaucoup moins que l’histoire, la musique voire même la littérature et bien d’autres domaines qui ne sont même pas représentés dans les lycées et collèges. Impuissantes à développer l’esprit critique et pas plus efficaces que la logique formelle dans l’apprentissage du raisonnement. Si vous vous en doutiez sans oser le dire en public je vous conseille la lecture de l’article de G.V. Ramanathan (1) : “How much math do we really need?”.

Paradoxe amusant dans un pays qui aime se dire cartésien : nous voilà avec une discipline d’une importance considérable et d’une utilité contestable (2).  Pourquoi des élèves doivent-ils essayer d’être les meilleurs pour intégrer les filières scientifiques et pouvoir ensuite atteindre à des carrières où ces études sont, sauf rares exceptions, inutiles. Comment se fait-il que dans un pays où 51% des élèves préparent le bac S (contre respectivement 32% pour le bac ES et 17% pour le bas L) le ministre en soit à lancer un plan “sciences et technologies” ? Qu’en pensez-vous?

(1) Professeur émérite de mathématiques, statistiques et informatique à l’Université d’Illinois, Chicago.
(2) Pas en soi, bien sûr. Mais il est évident que des notions considérées comme indispensables sont bien souvent en deça du seuil de l’utile.

Une réflexion sur “Culture scientifique et succès des sections S

  1. C’est la demande des parents informés qui tire la série S vers le haut.

    C’est uniquement parce qu’elles ouvrent la voie aux grandes écoles (et leurs dérivées, Sciences Po, autres concours…) que les séries S, et les maths, ont cette importance en France. Il serait facile de rééquilibrer les différentes séries en « réservant » certains concours à certaines séries. Par exemple, réserver 80% des médecins pour la série ST, 80% des HEC pour la série B, 80% des X pour la série S, 80% de la magistrature pour les L, etc…

    Une telle réforme est à mon avis très souhaitable mais a très peu de chances de se faire, car elle nuirait à la position des grandes écoles, qui aujourd’hui aimantent littéralement les programmes de la série S et la valeur relative des autres séries.

    Il ne faut pas juger les maths sur la simple utilité pratique non plus. Ou alors, on va aussi enlever la poésie des programmes… En France, les Maths ont aussi un gros avantage, c’est qu’elles sont impartiales lors d’une correction (ce qui ne veut pas dire sans biais). Ce n’est pas le cas d’une copie de philo ou de français où l’origine sociale de l’élève transparaît presque toujours, ce qui permet aux écoles de commerce de recruter « encore plus » au sein d’un milieu social uniforme.

    Plus vous mettez d’oral, ou de littéraire dans les épreuves, plus vous les ouvrez au sens culturel et humain, mais plus vous les biaisez socialement. Paradoxalement, ce sont les mêmes qui se lamentent contre l’hégémonie des maths et contre l’origine uniforme des élites, alors que les maths sont sans doute le seul garde-fou social qui reste encore.

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