La citation du dimanche

Aujourd’hui, une citation extraite de l’article fondateur du connectivisme par George Siemens. Un texte qui a déjà plus de 6 ans… Le temps passe, mais les idées qui y sont exposées restent ô combien d’actualité.

The pipe is more important than the content within the pipe. Our ability to learn what we need for tomorrow is more important than what we know today. A real challenge for any learning theory is to actuate known knowledge at the point of application. When knowledge, however, is needed, but not known, the ability to plug into sources to meet the requirements becomes a vital skill. As knowledge continues to grow and evolve, access to what is needed is more important than what the learner currently possesses.

Connectivism presents a model of learning that acknowledges the tectonic shifts in society where learning is no longer an internal, individualistic activity. How people work and function is altered when new tools are utilized. The field of education has been slow to recognize both the impact of new learning tools and the environmental changes in what it means to learn. Connectivism provides insight into learning skills and tasks needed for learners to flourish in a digital era.

George Siemens

A few proposals: education in 10 years time.

(The original and french version of that article by JP Jacquel is here.)

It is very difficult to guess the future of an activity as complex as education. One could bet that trends have little future. However, it can be challenging to try to project some trends that seem today marginal but still full of future.

Taiga is a group of U.S. academic librarians who want to push the traditional boundaries of their activity against the rapidly changing technology. On the occasion of their first meeting in 2006 they had proposed a series of 15 provocative statements to stimulate their thinking and develop new perspectives. You will find this text here.

At the time the problem was of course the extraordinary rise of search engines in general and Google in particular that was challenging the traditional cataloging, online catalogs and the very function of the librarian. Since that time, another version of « provocative statements » was published in 2009 for the Congress of ALA (American Librarian Association). In view of the upcoming forum of the same association a new series of provocative statements was conceived that you can find on the blog of Taiga.

The process is relatively simple: consider a trend still emergent but that seems dynamic and extrapolate it over the next 10 years.

In that spirit, I have decided to do the same thing starting with a few simple ideas, and clear trends. What is the result? The twelve proposals below:

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Umberto Eco vs. Steve Jobs : comprendre le passé, ou anticiper le futur ?

Umberto Eco cumule avec sérénité deux vies. D’un coté celle de l’universitaire, produisant des ouvrages de très haute tenue aussi absconds qu’érudits et réservés à un public restreint. De l’autre  le personnage public, charmant et charmeur, écrivant des best-sellers internationaux, pétillant d’esprit et faisant montre d’une formidable érudition sans pourtant produire l’écoeurement chez ses lecteurs et auditeurs. Une sorte de sage qu’on consulte sur à peu près tout, car il peut parler doctement d’à peu près tout. Il se prête au jeu avec bonhomie sur les places publiques ou sur les plateaux de télévision, jouant son rôle de professeur avant tout,  veste en tweed et noeud papillon en prime.

L’homme sait à raison ne pas confondre profondeur et gravité, il n’hésite pas au besoin à avouer avec humours ses amours coupables pour les téléfilms policiers entre une citation de Boccace ou une allusion à Thomas d’Aquin. Il sait aussi que son statut lui permet à peu près tout tant la vénération qu’on lui porte est grande et justifiée, car il sait aussi qu’il peut s’attendre légitimement à figurer au panthéon des hommes illustres : un nom en plus sur ces listes qu’il affectionne tant, après Manzoni ou Levi.

En somme, il est l’incarnation de l’humaniste dans sa version XXIe siècle, un survivant comme George Steiner d’une certaine espèce d’intellectuels, peut-être en lente voie d’extinction, qui sait ?

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La citation du dimanche

Aujourd’hui une superbe citation d’Hannah Arendt qui insiste sur le besoin pour un système éducatif de stimuler chez ses apprenants la capacité à anticiper. Visionnaire, et totalement en phase avec nos besoins d’aujourd’hui.

Education is the point at which we decide whether we love the world enough to assume responsibility for it and by the same token to save it from that ruin, which, except for renewal, except for the coming of the new and the young, would be inevitable. An education, too, is where we decide whether we love our children enough not to expel them from our world and leave them to their own devices, nor to strike from their hands their choice of undertaking something new, something unforseen by us, but to prepare them in advance for the task of renewing a common world.

Hannah Arendt

“I understand how, but I don’t understand why”

 

 

 

 

 

 

C’est par ces mots que Winston Smith, le personnage principal de 1984, le roman d’anticipation  de George Orwell,  s’étonne du sens de l’entreprise formidable à laquelle il est associé au Ministère de la Vérité de l’Oceania :

Ce qui affligeait le plus Winston et lui donnait une sensation de cauchemar, c’est qu’il n’avait jamais clairement compris pourquoi cette colossale imposture était entreprise. Les avantages immédiats tirés de la falsification du passé étaient évidents, mais le mobile final restait mystérieux. Il reprit sa plume et écrivit :

Je comprends comment. Je ne comprends pas pourquoi.

Les régimes totalitaires ne s’y sont pas trompés : pour que l’individu abdique toute forme de souveraineté et de liberté, aucune institution ne doit s’interposer entre lui et l’État. Et c’est à ce dernier et à lui seul de fixer les objectifs du système. Ou plutôt, de demander de s’y conformer, sans même qu’on sache le pourquoi. Ainsi :

Le but de l’éducation totalitaire n’a jamais été d’inculquer des convictions, mais de détruire la faculté d’en former aucune.

Hannah Arendt (1906-1975)

L’Etat totalitaire se charge donc de l’éducation, à la fois parce qu’il contrôle la formation des esprits des futurs citoyens en les façonnant comme bon lui semble, c’est-à-dire en les faisant tourner à vide, mais aussi parce que l’Etat qui est tout, se doit de tout contrôler, d’assurer au système dont il est le garant à la fois efficacité et pérennité,  sans que l’individu, qui n’est rien, n’ait à savoir dans quel but. Car le but n’importe pas. Ce qui compte est que le système soit, que le « tout » demeure, invariant, ou si peu, donnant aux individus un sentiment d’appartenance et une confortable assurance dans le présent comme dans  le futur. En effet :

Man is more disposed to domination than freedom; and a structure of dominion not only gladdens the eye of the master who rears and protects it, but even its servants are uplifted by the thought that they are members of a whole, which rises high above the life and strength of single generations.

Wilhelm Von Humboldt

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La citation du dimanche

Aujourd’hui une citation pour le moins radicale du grand géographe du XIXe siècle Elisée Reclus,  auteur de la Nouvelle Gégraphie universelle, grand voyageur et avant tout anarchiste convaincu.

« Maintenant que l’école est laïque, la formule religieuse a été remplacée par une formule de grammaire, les sentences latines incompréhensibles ont fait place à des mots français qui ne sont pas plus clairs. Que l’enfant comprenne ou non, peu importe; il faut qu’il apprenne suivant un formulaire tracé d’avance. Après l’absurde alphabet qui lui fait prononcer les mots autrement qu’il ne les lit et l’habitue ainsi d’avance à toutes les sottises qui lui seront enseignées, viennent les règles de grammaire qu’il récite par cœur, puis les barbares nomenclatures qui s’appellent la géographie, puis le récit de crimes royaux qu’on nomme l’histoire. Et comment l’enfant bien doué peut-il, à la longue, débarrasser sa cervelle de toutes ces choses qu’on y a fait entrer de force, en s’aidant parfois de martinet et de pensums! D’ailleurs, ces écoles sont-elles sans esclavage, sans heures de retenue et sans barreaux aux fenêtres? Si l’on veut une génération libre, que l’on démolisse d’abord les prisons appelées collèges et lycées! » .

 

 

 

La citation du dimanche

Aujourd’hui, un extrait du « point de vue » publié par Michel Serres dans le journal Le Monde du 5 mars 2011. Un article important en forme de synthèse sur les mutations fondamentales en cours autour de l’humain et de ses usages et les réactions qu’elles exigent pour mieux s’y adapter, en particulier dans le domaine éducatif.  L’article est aussi une sorte de mea culpa car, de l’avis de Serres, le constat de cette humanité en changement a tardé à être posé par les philosophes . Il rattrape le temps, avec beaucoup de lucidité.

En trois extraits, tant est dit :

Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N’ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.

Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c’est fait. Avec l’accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l’accès en tous lieux, par le GPS, l’accès au savoir est désormais ouvert. D’une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.

Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s’objectiva : d’abord dans des rouleaux, sur des velins ou parchemins, support d’écriture ; puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d’imprimerie ; enfin, aujourd’hui, sur la toile, support de messages et d’information. L’évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d’enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l’écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l’imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd’hui ?

Learning

Hi everyone. We’ve recently decided to translate from time to time some of our articles in order to open ourselves to a wider audience, and bring the attention of those who don’t speak French.  English appears to be the best choice. I hope you’ll enjoy it and forgive us for our (broken) English.

(Vous trouverez ici la version française de cet article de Jean-Paul Jacquel).

(French version here)

Learning, in the debate that concerns us, is a central and complex concept. This cornerstone of the educational building is not permanently fixed, however, in terms of its procedures and techniques. What is learning today? What should we learn? Should we make a distinction between assimilating, learning and remembering? Does the state of science allow us to consider other learning methods? What facilitates learning and what harms it?

Three relatively recent articles invite us to reconsider some issues that are not always essential but which remind us that learning is diverse and complex.

Stress is a metabolic phenomenon whose effects are becoming better known. What is commonly called a stressful situation covers different realities of which two at least may interest teachers in the exercise of their profession. Faced with an examination paper, the student is under a “mobilizing stress”. The acceleration of certain metabolic functions will allow him, through a flow of oxygen to the brain, to give the best of himself in tackling the question.
But the same stress can be destructive; it can paralyze the candidate during the examination, denying him access to his memory, blocking his faculties of expression, making him totally lose his understanding of what is asked. If this situation does not last, the victim quickly regains full and complete use of his brain and curses himself for his attack of stage fright. A past article in the magazine Mind (vol 14, No. 5, 2004) focuses on the effects of prolonged stress and notes that due to a substitution of neurotransmitters, memory becomes increasingly difficult. Lire la suite

Pour une éducation empathique (bis)

Le jour où j’ai obtenu mon baccalauréat il faisait très beau. L’été battait son plein et j’avais le cœur joyeux. Après trois années passées dans un lycée gigantesque où j’avais passé de (trop) nombreuses heures et bien failli me perdre, fait de nombreuses connaissances, expérimenté bien des choses, et poursuivi des études sur un rythme de croisière sans vraiment qu’elle ne m’amuse, j’allais enfin en passer définitivement le seuil avant de partir à l’Université. Une page allait se tourner, une nouvelle étape de ma vie commencer, et j’en avais le tournis rien qu’à y penser.

Le jour j je me rendis à bicyclette à mon lycée, avec une légère crispation dans la zone du ventre. J’approchais de la grille, close, et là, mal accrochée, une liste pendouillait comme un linge sale, avec des noms dactylographiés s’étalant sur plusieurs colonnes. Je parcourai vite les noms avant de trouver le mien et de ne plus savoir quoi faire. Voilà. Mon temps scolaire était terminé, j’avais mon bac. La fête avait été courte. Ni trompettes ni cotillons. Et je me retrouvai là, à ne pas savoir quoi faire, pas même avec qui rire ou pleurer.

Cette expérience vous rappelle quelque chose ? C’est sans doute que vous êtes passé dans un système éducatif où, comme moi, vous avez surtout investi du temps et des efforts, et si peu de vous-même, si peu de votre personne. Et en échange, qu’avez-vous reçu, sinon d’abord et avant tout, des informations, en quantité, et au mieux quelques savoir-faire, et pas grand chose d’autre ? Le rôle qui vous était assigné, tout comme dans mon cas, était de stocker tout cela au mieux, durablement, dans votre crâne, vous laissant le soin par la suite de découvrir par vous-même quel usage en faire une fois le temps scolaire fini, et avec qui en profiter. Voilà tout.

Vous avez fréquenté une usine à apprendre.

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Prime au mérite, culture hiérarchique et culte de l’homme providentiel

La décision du Ministre de l’Education nationale française, Luc Chatel, de gratifier les principaux de Collèges et les proviseurs de lycées d’une prime au mérité a suscité de la surprise (des intéressés eux mêmes), une marée de commentaires, et de nombreuses interrogations. Beaucoup a été dit, et il semble que les critiques négatives prennent le dessus. Attisé par une discussion sur le mur Facebook du précieux et hyperactif Philippe Watrelot, j’aimerais essayer d’ajouter une modeste pierre à cet édifice encombré pour en tirer quelques enseignements pour les systèmes éducatifs en général.

En guise de préambule, je pars de l’hypothèse que Luc Chatel est animé du désir d’améliorer la machine éducative française et qu’il croit que la mesure qu’il propose est un outil efficace pour y parvenir. On pourrait arguer du contraire, et prétendre qu’il s’agit d’une gesticulation destinée à faire diversion alors que des questions beaucoup plus préoccupantes et essentielles occupent le monde de l’EN française en cette période de restriction budgétaire et de baisse de personnel. Mais je préfère laisser de côté ce type de polémique politique qui n’est pas de l’ordre des préoccupations de ce blog.

La mesure du Ministre correspond à un corpus d’idées ou de croyances qui ont donné lieu à des expériences passées, développées ailleurs, et dont on connaît les effets. Il est intéressant d’analyser leur prétendu bien fondé, et leurs effets sur l’amélioration de la qualité de l’offre éducative. Or, une conclusion négative s’impose, voilà l’objet de ce billet.

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