Google, Internet et la mémoire

Il y a déjà longtemps que certains bibliothécaires, documentalistes et enseignants, constatent l’inflation des connaissances et l’impossibilité de l’école à enseigner aux élèves tout ce dont ils ont besoin. La réponse la plus cohérente par rapport au système technique qu’est le livre consistait à enseigner où est l’information, comment la retrouver puis la restituer. C’était l’époque où tables des matières, sommaires, index, etc. pouvaient trouver leurs places en cours ; l’époque où dictionnaires et encyclopédies pouvaient être objets d’enseignement. Dans quelle mesure Internet et les moteurs de recherche doivent-ils nous inciter à repenser la question?

C’est ce à quoi nous invite cette étude : Google Effects on Memory: Cognitive Consequences of Having Information at Our Fingertips, publiée le 14 juillet dernier sur scienceexpress.org et dont voici le résumé :

The advent of the Internet, with sophisticated algorithmic search engines, has made accessing information as easy as lifting a finger. No longer do we have to make costly efforts to find the things we want. We can “Google” the old classmate, find articles online, or look up the actor who was on the tip of our tongue. The results of four studies suggest that when faced with difficult questions, people are primed to think about computers and that when people expect to have future access to information, they have lower rates of recall of the information itself and enhanced recall instead for where to access it. The Internet has become a primary form of external or transactive memory, where information is stored
collectively outside ourselves.

On peut s’interroger sur la qualité de l’information disponible sur Internet. Outre la question de la validité reste aussi le fait que tout n’y est pas forcément disponible, que les moteurs de recherche même s’ils y mettent de la bonne volonté continuent à nous livrer une quantité délirante d’information, que celles-ci ne sont pas forcément classées selon des critères qui nous soient pertinents, etc. Il est cependant de plus en plus évident que nos élèves à l’école mais aussi une fois qu’ils l’auront quittée utiliseront presque exclusivement cette source d’information. Cela aura donc manifestement une incidence sur leur mémorisation des informations et sur leur rapport à la connaissance, sur leur culture, sur leur représentation du monde.
Cela doit nous interroger sur un enseignement principalement centré sur la transmission de connaissances. D’une part celles-ci ne représentent plus qu’une minuscule fraction des informations nécessaires à une vie d’adulte, d’autre part le décalage avec la réalité de l’acquisition de nouveaux savoirs s’agrandit. Les compétences à acquérir et le socle minimal de connaissances devraient plus fondamentalement en tenir compte.

Merci Facebook

Larry D. Rosen professeur de psychologie à l’Université d’Etat de Californie ajoute une pierre à l’édifice déjà consistant des contributions concernant l’impact de Facebook sur les adolescents. Peu de réelles nouveautés cependant dans sa présentation devant le 199e Congrès de l’Association Américaine de Psychologie.

Les adolescents qui utilisent régulièrement Facebook sont plus narcissiques que leurs pairs. De même les post-adolescents hyper usagers du réseau social se révèlent plus souvent sujets à des troubles psychologiques dont une plus grande agressivité.

La fréquentation excessive des médias a des conséquences négatives sur la santé mentale des jeunes (dépression, anxiété, …) et sur leur future santé physique.

Le docteur Rosen relève aussi quelques effets positifs : les plus introvertis peuvent trouver un moyen de se socialiser en utilisant les écrans, les jeunes usagers des réseaux sociaux manifestent plus d’empathie « virtuelle » et Facebook peut être positivement utilisé pour l’enseignement.

La critique habituelle s’impose, il n’est pas possible de savoir si Facebook est à l’origine des comportements des adolescents ou si, ces comportements étant déjà là, ils rendent Facebook plus attractif pour ces jeunes. Deviens-je narcissique parce que je fréquente Facebook plus d’une heure par jour ou est-ce parce que je suis narcissique que l’on me voit si souvent sur les réseaux sociaux… ?

La communication du professeur Rosen se termine sur deux remarques qui, elles non plus ne nous apportent pas grand chose de neuf. Cependant il est intéressant de les voir réaffirmées. D’abord il est inutile d’espérer bloquer les adolescents dans leur désir d’accéder aux réseaux sociaux, quoique vous fassiez ils se débrouilleront pour contourner les obstacles que vous mettrez sur leur chemin.

Plus intéressant encore le psychologue incite fortement les parents à engager le dialogue avec leurs enfants :

 

He encouraged parents to assess their child’s activities on social networking sites, and discuss removing inappropriate content or connections to people who appear problematic. Parents also need to pay attention to the online trends and the latest technologies, websites and applications children are using, he said.

“Communication is the crux of parenting. You need to talk to your kids, or rather, listen to them,” Rosen said. “The ratio of parent listen to parent talk should be at least five-to-one. Talk one minute and listen for five.”

Parlez pendant une minute et écoutez pendant cinq. Ce conseil inclut tout ce qu’un dialogue parent-enfant suppose d’attention, de bienveillance et de confiance. Supposons que tous les parents préoccupés par ce que leurs enfants font de l’internet accèdent à cette démarche et qu’ainsi ils ouvrent la voie pour la majorité des parents. Supposons que, par une contagion inattendue mais pas impossible, la grande majorité des enseignants s’engage dans cette même attitude. Imagine-t-on l’immense service que Facebook aurait rendu à l’humanité?

ENT (Espace numérique de Travail)

Les ENT (Espace Numérique de Travail) prennent leur place a un rythme soutenu dans le paysage scolaire français. Face à l’arrivée du numérique le système éducatif et l’administration ont réagi assez vite en se dotant d’outils nouveaux. Les anciens se souviendront qu’ils avaient déjà fait preuve de dynamisme au moment de l’arrivée du Minitel. L’enseignement commençait d’en tirer quelques applications pédagogiques quand l’objet a disparu des écrans radar, l’administration l’avait, elle, bien intégré. Lire la suite

Suggestion pour une formation du citoyen adaptée à un nouveau contexte

Le système de valeurs sur lequel repose notre enseignement du civisme et de la démocratie n’a rien perdu de sa validité mais n’a plus la même pertinence dans le monde qui se met en place. Il est temps de préparer nos élèves à penser ce qui sera demain le politique. La proposition ci-dessous n’épuise pas le sujet mais propose simplement une voie possible d’actualisation.

La formation du citoyen tient une place importante dans les objectifs de l’éducation. Il ne s’agit pas seulement d’expliquer les mécanismes de la République et de la Démocratie, c’est aussi former un individu libre et autonome, lui proposer des instruments de compréhension du monde dans lequel il vit. Plusieurs disciplines peuvent concourir à cette éducation de l’honnête homme : la philosophie, la littérature et l’histoire, pour ne citer que les plus évidentes.
Internet est-il susceptible de modifier notre perspective sur ce sujet? C’est, bien sûr, plus du côté des pratiques de communication que des méthodes pédagogiques que l’actualité nous invite à regarder. Lire la suite

Ralentissement

Si vous venez régulièrement lire ce blog vous avez forcément constaté que le rythme de parution des billets n’était plus aussi soutenu.  La cause n’est pas seulement l’habituelle surcharge de travail de la fin d’année scolaire. En fait nous sommes, tous deux,  sur le point de changer de métier et de résidence, situation qui ne va pas sans quelques inconvénients chronophages.

Cela dit nous continuerons d’alimenter Solution de Continuité même si c’est de manière irrégulière et reprendrons notre tempo précédent dès que possible. Merci de votre fidélité.

La citation du dimanche

Une autre caractéristique de l’enseignement du Collège était le “travail collectif par équipe”, auquel le Père Pardo attachait une très grande importance. Les élèves étaient distribués en « équipes de travail » pour étudier tel ou tel problème qui leur était posé. Leur devise était « chacun pour tous ». Le Père Pardo bannissait formellement de ces équipes les supériorités. Il n’y avait pas de « maître » ou de « chef », mais seulement un « philosophe » chargé de la synthèse, dont le rôle était de rassembler et de commenter les travaux de chacun et de les coordonner, pour en faire un ensemble homogène. Chaque jeudi une équipe exposait devant tous les professeurs et tous les pères réunis le résultat de ses recherches. Les Pères et les Professeurs posaient des « colles ». Il fallait les avoir prévues. Parfois elles étaient si difficiles que des discussions s’ensuivaient entre les professeurs eux-mêmes.

Michel del Castillo
Tanguy
(fin du chapitre X)

Qu’est-ce qui ne va pas dans le fait que Google donne instantanément la réponse à ma question?

La rapidité avec laquelle nos questions obtiennent des réponses sur internet est trompeuse. Cependant nos élèves s’appuient sur ce sentiment pour travailler moins. La question est alors de savoir si c’est Google qui les rend idiots ou l’école qui oublie de s’appuyer sur les « nouvelles » technologies pour les rendre intelligents?

Situation initiale : une série d’exposés pour des 4e de collège sur les explorateurs. Au cours d’un exposé un élève défend l’idée que Jacques Cartier est parti vers l’Amérique pour écouler la production de montres de l’usine paternelle.
Ne cherchez pas trop loin l’erreur, il a googlisé la question et a découvert le remarquable site Explorer . Réponse trouvée, copiée, collée et attendez vous à batailler ferme pour l’en faire démordre.

Critique classique : le web fournit à nos élèves des réponses instantanées qu’il ne prennent pas le temps d’analyser et de critiquer. Est-ce la rapidité de la réponse qui inhibe leur sens critique? Au temps jadis la recherche prenait plus de temps, l’esprit critique était-il pour autant plus développé? Une conversation au comptoir du café du commerce avec des gens qui n’ont pas connu les TICE à l’école montre vite que même si c’est le cas il n’en reste pas grand chose.

L’obtention immédiate de l’information augmente le rôle des faits, des données et des documents. L’illustration du cours peut être préparée, elle peut aussi, si le propos s’éloigne du chemin initialement prévu, être improvisée. On peut aisément s’arrêter au milieu de la leçon pour aller obtenir confirmation sur le Net, on peut aussi, émettre des hypothèses et en contrôler la validité. L’enseignant qui le souhaite peut redonner droit de cité à la curiosité dans sa classe.

C’est aussi l’occasion de mettre en évidence les mécanismes de l’esprit critique, d’aller contrôler les sources, de voir si les informations se contredisent ou se recoupent, etc. La où une comparaison entre sources écrites risquait d’occuper au moins un cours entier, le web ne vous demandera qu’une grosse vingtaine de minutes.

L’instantanéité de la réponse peut aussi procurer l’impression que l’apprentissage n’est plus nécessaire. Quel besoin de mémoriser le savoir puisque internet sait tout et que Google me fournit l’information dans l’instant, quel besoin ai-je d’apprendre? Là encore il y a la possibilité de montrer que sans connaissances préalables il n’est pas possible d’interroger le réseau. Il en faut un minimum pour pouvoir conquérir son autonomie de web-surfeur. C’est ainsi l’occasion de montrer aux élèves comment ils peuvent augmenter d’eux-mêmes leurs connaissances.

Notre problème reste que nous soumettons nos élèves à des défis qui n’en sont plus. Les questions que nous leur posons ne relèvent encore trop souvent que de la mémorisation, et si on leur demande une recherche documentaire la Wikipedia seule peut, en général, suffire. Il est temps de penser à des questions complexes (ce qui n’est synonyme ni de compliquées, ni de difficiles) qui non seulement les obligent à composer des informations différentes mais aussi à faire des liens et surtout qui donne l’impression d’avoir acquis, conquis un savoir nouveau en autonomie.

L’objectif pédagogique est-il nouveau? Stimuler l’ntelligence et la réflexion, nourrir et encourager la curiosité, mettre en place les conditions d’un apprentissage autonome qui devra durer une vie entière en s’adaptant aux mutations des technologies du savoir? Il ne devrait pas vraiment l’être pourtant on voit bien qu’il faudra laisser de plus en plus de place à l’intelligence ce que, en fait et fondamentalement, l’enseignement a jusque là négligé.

Qu’en pensez-vous?

La citation du dimanche

Nous sommes tous les deux en vacances ce qui risque de nuire sérieusement à la fréquence des billets sur Solution de Continuité. Nous serons de retour au plus tard le 3 mai. Voici, pour s’accorder à l’ambiance printanière, une citation optimiste et pleine d’entrain tout droit sortie d’une certaine idée de l’école :

Ah ! les beaux matins de clair soleil, où, dans la classe murmurante, se développe la leçon ! Comme s’arrêtent au seuil les regrets, les haines et les fureurs de tous les combats ! Comme on s’y sent, mal aidé, qu’importe ! mal soutenu, tant pis ! l’avenir en formation, gros d’amour et de clarté !
Et ces bons moments, c’est bien là que je les passe, au milieu de ma classe ; car si le tableau de ma situation matérielle, tel que je viens de l’esquisser, offre quelques traits sombres, je puis déclarer bien haut que celui de ma situation morale est tout entier illuminé par la joie sereine que me procure l’exercice de ma profession.
Oh ! le charme souverain de la classe ! quel instituteur-poète, épris de son métier, nous dira l’intérêt puissant et doux de la leçon qui fait luire les yeux, qui éclaire les fronts, qui concentre la lumière des prunelles sur les regards du maître, qui incline les corps en avant, qui captive l’attention, qui éveille et vivifie les esprits, qui les attache aux parcelles de la science, qui leur ouvre la voie vers de divines clartés !

Enquête-concours du Manuel général (1911-1912)
Cité par Jacques Ozouf