La philosophie, jusqu’ici réservée aux élèves de terminale, devrait bientôt faire l’objet d’un enseignement en classe de seconde puis de première. L’objectif de cette réforme est d’aider les élèves à acquérir une réelle autonomie de pensée. On peut se demander si ce but ne pouvait pas être atteint par d’autres moyens et si la philosophie est aujourd’hui un bon candidat pour ce poste.
Lors de la journée mondiale de la philosophie, qui s’est tenue à la Maison de l’Unesco à Paris le 18 novembre dernier, le ministre de l’Éducation nationale a annoncé que la philosophie serait dorénavant présente dès la classe de seconde des lycées. Les formes pourront être variées et le ministre a salué les nombreuses initiatives locales qui, par l’expérience qu’elles ont permis d’acquérir, servent de fondement à cette initiative. Les professeurs de philosophie pourront se voir confier l’Éducation Civique Juridique et Sociale (ECJS), ils pourront aussi être appelé à intervenir dans d’autres cours où la philosophie est susceptible d’enrichir le propos de la discipline (Physique-Chimie, Sciences de la Vie et de laTerre, Lettres, Histoire-Géographie,…), enfin à l’intérieur des enseignements d’exploration la philosophie pourra se voir réserver une place importante dans un cadre pluridisciplinaire.
Pourquoi la philosophie ? Laissons parler le ministre :
La France est un pays de philosophie et elle est fière de participer à cet événement exceptionnel. Héritiers des Humanistes, de Descartes, des Lumières, nous nourrissons en effet une passion du vrai et de la raison, un goût invétéré pour le débat et l’échange, une conviction et une exigence : celles selon lesquelles la formation de l’homme et du citoyen passe par la liberté de penser et par l’exercice réfléchi et approfondi du jugement. Celles selon lesquelles plus les hommes seront éclairés et plus ils seront libres.
Remarquons tout d’abord qu’il existe un nombre croissant de domaines qui ne sont pas enseignés au lycée et qui manquent à la culture de l’honnête homme du XXIe siècle. Il est cependant vrai que les enseignements d’exploration permettront aux professeurs d’en introduire certains. Cependant, l’augmentation des connaissances qui demandent transmissions entraine une perte de sens accrue de “ce qui s’apprend à l’école”. Un peu comme les galaxies s’écartent dans un univers en expansion les disciplines scolaires sont séparées par des espaces de savoir de plus en plus large et ce tissus qui faisait encore sens il y a cinquante ans appelle de plus en plus au ravaudage. Il y a aujourd’hui beaucoup plus de connaissances hors du champ de ce qui s’enseigne qu’à l’intérieur. La philosophie viendra-t-elle compenser ce déficit de sens, il faudrait pour cela qu’elle adopte une posture “méta-disciplinaire”, ce n’est, a priori, pas ce qu’on lui demande.
Il est un autre domaine qui fait une forte concurrence à l’école pour cette classe d’âge. Je ne pense en l’occurrence ni à internet, ni aux jeux vidéo, ni à la télévision,… Entre la classe de 3e et celle de 1ère la plupart des élèves sont préoccupés de comprendre qui ils sont. Leur travail d’acquisition d’une nouvelle identité, la modification de leurs rapports sociaux, le rôle croissant qu’y joue la sexualité éloigne les adolescents du travail scolaire. C’est ce dont ils parlent entre-eux, c’est le sujet principal de leur activité dans les réseaux sociaux, c’est le contenu de l’immense majorité de leurs SMS.
L’école est indifférente à cette situation. Elle se contente de déplorer l’attitude des jeunes, bannit Facebook et Twitter des établissements scolaires tentant de maintenir la “vraie vie” hors du sanctuaire. Cette attitude pourrait se justifier si les élèves ne quittaient jamais le collège ou le lycée mais l’essentiel de leur vie, ce qui pour eux en est l’essence, se déroule hors des murs de l’institution. Il y a une certaine hypocrisie à désigner les risques encourus et à leur demander d’adopter des comportements civiques et responsables sans jamais aborder la question psychologique. Il y aurait un réel profit pour eux, et vraisemblablement pour l’école, de les aider à répondre à la très philosophique question “Qui suis-je ?” qui à cet âge se prononce souvent “Qui vais-je, qui puis-je, devenir?”, question qui historiquement et moralement, précède le “Que sais-je?” de Montaigne. Une bonne occasion pour notre ministère de justifier le passage de l’ancienne instruction publique à l’éducation nationale.
Cependant aussi dévoué enseignant soit le professeur de philosophie il vous dira sûrement qu’il n’est ni éducateur, ni animateur socio-culturel.
Reconnaissons cependant à la philosophie cette qualité de nous aider à penser notre quotidien. Face à une actualité violente et confuse, à des commentaires contradictoires, à des informations parfois déformées ou falsifiées elle peut aider nos élèves à se forger une libre opinion. Mais il me semble qu’à ce chapitre-là, la première chose à faire est de redonner toute sa puissance à la curiosité. Après des années passées à écouter les réponses à des questions qu’ils n’ont pas posées, les élèves finissent souvent par comprendre, qu’à l’école, les questions qu’ils se posent n’ont pas droit de cité.
J’ai participé il y a quelques années au lancement des TPE et j’ai vu des élèves réputés peu studieux investir soudain une énergie considérable (et ce n’est pas qu’une figure de style) dans la recherche d’informations et la production d’un document de qualité. Ne serait-il pas plus efficace de laisser les élèves questionner le monde autour de leurs centres d’intérêt, les envoyer interroger internet, revues et livres, puis leur offrir l’occasion de communiquer le résultat de leur travail à la classe, au lycée voire plus… Evidemment ce qui les intéresse paraîtra léger, inconsistant et superficiel à l’enseignant adulte et raisonnable. Mais il sera loisible à celui-ci de rebondir pour montrer qu’il existe d’autres dimensions et d’autres perspectives. Je confesse que le propos est provocateur mais n’y aurait-il pas là une occasion de mettre l’élève au centre de l’enseignement? Il est hélas plus que probable qu’une fois encore la logique discursive l’emportera et que résonnera, par priorité, la raison du maître.
C’est ce que confirme l’ACIREPH (Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de la Philosophie) dans son commentaire du récent (mai 2010) rapport de l’Inspection générale (voir le bulletin de l’association en page 3) :
Les Inspecteurs ont observé deux pratiques très largement majoritaires et assurément excellentes à les en croire :
– celle du cours magistral, « c’est un cours magistral « au bon sens du mot », pour reprendre l’expression significative dont se servent parfois les inspecteurs territoriaux : autrement dit, un cours prononcé et assumé par le professeur, mais qui tolère [sic !!!] les questions et interventions des élèves, voire leurs objections » ;
– et celle du cours dialogué (en vérité… le monologue relancé).
La philosophie est-elle bien, dans son état actuel, la matière à mettre en avant pour aider les élèves à comprendre le monde dans lequel ils vivent, à exercer leur esprit critique et à se forger une opinion? Qu’en pensez-vous?